L'expatriation, le fait de ne connaître personne, de ne pas être ancrée, te donne une liberté d’être et de créer qui rend les choses beaucoup plus faciles.
Qu’est ce que tu voulais faire quand tu étais petite?
Je voulais être peintre ou dessinatrice. Un peu plus tard j’ai découvert la couture et j’aurai voulu être styliste de mode. Je ne pensais pas déjà aux bijoux mais j’aimais l’esthétique des choses et l’idée de travailler de mes mains.
Quel métier faisait ta maman?
Quand j’étais petite ma maman était mère au foyer, elle a commencé à travailler dans les assurances quand je suis partie de la maison pour faire mes études.
Mais durant mon enfance, ma maman a fait le choix d’être là pour nous, elle était très disponible et c’est pour beaucoup grâce à elle que j’aime travailler de mes mains. Elle faisait toujours beaucoup de choses manuelles, elle était très douée, elle m’a donné le goût de créer.
Quelles études as-tu fait ?
J’ai fait une école de commerce parce que mes parents ne voulaient pas que j’étudie ni l’art, ni le stylisme. Après mes études, j’ai cherché à travailler dans la mode en pensant que c’est ce qui me rapprocherait le plus de la création. J’ai commencé à travailler dans les bureaux de tendance, puis pour Givenchy à la haute couture et au retail, et enfin pour les salons de la lingerie et du balnéaire où j’organisais leurs défilés.
A chaque fois je flirtais de très prêt avec la création mais finalement d’un job à l’autre, je me rendais compte que je ne créais jamais, c’était le travail d’autres.
Comment s’est passé ton arrivée à New York et la découverte du milieu des créateurs de bijoux, ou jewelry designers comme ils s'appellent ici ?
Quand je suis arrivée à New York je ne connaissais rien du monde des créateurs de bijoux. Je suivais mon copain et je me suis débrouillée pour arriver avec une petite mission de deux mois pour organiser un défilé de lingerie ici à New York.
Je n’étais pas du tout dans le milieu des bijoux, je cherchais un job dans la mode, je n’avais pas de visa, c’était 2008 et la crise donc j’étais plutôt dans la logique de continuer ce que je faisais en France plutôt que de découvrir le milieu créatif New Yorkais.
J’ai rapidement trouvé un job pour un agent de photographe dans la mode qui ouvrait son bureau à New York et qui avait besoin de quelqu’un sur place. C’était le 'dream job' pour moi sur le papier mais ça c’est vite révélé être un enfer. C’est un peu ce qui m’a permis de jeter l’éponge et de me dire que ça n’était pas ce que je voulais faire de ma vie! J’étais à New York, la ville de tous les possibles et j’avais toujours voulu créer de mes mains, alors je me suis lancée!
Et puis comme souvent quand les choses doivent se faire, tout s’est bien enchaîné, nous nous sommes mariés avec mon copain ce qui m’a permis d’obtenir un visa de travail. À ce moment là j’ai commencé à créer mes bijoux en même temps que je commençais un job en freelance d’assistante styliste quelques jours par semaine. Je me suis assez vite inscrite sur les marchés de créateurs les week-end pour vendre mes créations. Au début ils m’ont pris ponctuellement puis petit à petit tous les week-end. Assez rapidement je me suis épanouie personnellement et financièrement par la création et la vente de mes bijoux mais aussi grâce à mon job de freelance.
Quel est ton rapport à la ville de New York aujourd’hui?
New York, j’y suis arrivée il y a 10 ans avec mon conjoint. On est venu en repérage et j’ai tout de suite eu un coup de coeur. On a cette image en France, cette fascination pour New York, les grand immeubles, ça grouille, le côté multiculturel, tout de suite j’ai été fascinée et on peut dire que 10 après je suis toujours aussi fascinée.
J’ai l’impression qu’il y a toujours des choses à explorer, ça bouge à une vitesse folle, pour l’inspiration c’est incroyable et puis ce que j’aime le plus c’est qu’on se sent chez soi immédiatement quand on arrive dans cette ville, peu importe d’où on vient, peu importe depuis combien de temps on est là, on s'approprie la ville très rapidement et puis les gens sont tellement accueillants! J’adore New York!
Comment est-ce que tu as démarré ton business?
Je me suis formée toute seule à la création de bijoux, j’ai commencé en bidouillant, je bricolais un peu chez moi et j’étais assez friande des marchés de designers et d’antiquités. J’allais quasiment tous les week-end chez “Artists and Fleas” ou “Hester street fair” des marché de créateurs à New York ou bien à “the garage” un marché aux puces à Manhattan.
Puis j’ai découvert les fournisseurs de bijoux, ils ont souvent pignon sur rue ici et j’ai essayé des trucs. Pas mal de formation YouTube aussi et puis des rencontres. Sur les marchés de créateurs j’ai rencontré des gens incroyables, des designers un peu underground, un peu débrouille, qui te donnent pas mal de conseils sur comment et avec qui tu devrais travailler, ce que tu devrais essayer, des contacts de fournisseurs. Petit à petit, en plus des quelques cours auxquels je me suis inscrite pour apprendre des techniques de bijoutiers - notamment la soudure et la cire perdue - j’ai commencé à créer.
Par la suite ça a été beaucoup d'entraînement, d’essais, de ratés et de recommencements.
Et puis un jour j’ai rencontré cette française qui venait d’arriver à New York un mois auparavant, elle était là sur le marché où je me rendais les week-ends à vendre ses bijoux. Je me suis dis Wahou, elle ne perd pas de temps! Moi qui ai tendance à beaucoup réfléchir normalement avant de faire les choses, cette rencontre m’a énormément boosté. Je me suis dis que si elle avait osé, moi aussi j'allais oser. Je me suis inscrite pour avoir un stand sur ce marché et j’ai commencé à vendre mes créations. Au début c'était assez ponctuel et puis petit à petit mes produits ont évolués et comme je commençais à avoir du succès on m’a attribué un stand régulier. De fil en aiguille je me suis inscrite à d’autres marchés à New York et aux alentours.
Par la suite c’est devenu assez rapidement saturé de bijoux mais ça m’a permis de me poser les bonnes questions et de faire évoluer mes produits. Pendant toutes ces années j’ai beaucoup cherché à me différencier, à avoir ma propre identité, c’est un bon entraînement, ça te pousse à travailler encore plus.
C’est comment de lancer son entreprise à New York? Quelles difficultés majeures as-tu rencontré?
J’ai trouvé cela assez facile. En venant de France, j’avais un peu peur du côté administratif et de mon niveau d’anglais assez médiocre à l’époque, mais finalement tout c'est fait en ligne très facilement. Ça m’a pris 10 minutes de créer ma boite.
Surtout, j’avais la chance d’avoir un visa qui me permettait de faire ce que je voulais. Je pense que c’est la plus grosse barrière que tu puisses rencontrer pour travailler ici, mais une fois que tu t’en es affranchie, c’est très facile.
Et puis ce que j’aime ici c’est qu’on te donne ta chance, les gens ne sont pas du tout regardants sur ce que tu as fait avant, ton background, tes études… C’est assez bienveillant et positif. Les gens veulent voir ce que tu peux donner, ce que tu vas apporter, on te donne une chance, on croit en toi avant d’avoir vu quoi que ce soit. Je ne l’aurai pas fait en France, j’aurai eu peur d’être jugée.
Et puis le fait de ne connaître personne, de ne pas être ancrée te donne une liberté d’être et de créer qui rend les choses beaucoup plus faciles.
En terme de difficultés je parlerai plus de la peur de se lancer en freelance. J’ai beaucoup tergiversé avant de me lancer, la peur de l'insécurité, le risque financier, cette période un peu "in between" avant que les ventes démarrent vraiment. J’ai toujours voulu être financièrement indépendante et le statut de freelance était très risqué pour moi. Mais avec le recul, c’est tellement libérateur, je ne regrette absolument pas et puis ça me correspond bien!
C’est quoi le meilleur conseil Business qu’on t’ai donné quand tu as commencé?
Je n’ai pas le souvenir d’un conseil business en particulier mais à aucun moment on ne m’a freiné et c’est ça qui m’a portée. Personne n’a essayé de me mettre en garde ou de me faire douter. La meilleure chose qu’on m’ait apporté c’est cette énergie encourageante.
Quel est ton lieu de travail, ton lieu de création?
Mon lieu de travail principal c’est chez moi et de temps en temps dans un studio de bijoux à Williamsburg à Brooklyn que je loue à l’heure car je n’ai pas toutes les machines de polissage et de soudure à la maison. Je travaille aussi avec les artisans bijoutiers à Manhattan, dans le “diamond district” principalement sur la 47ème rue entre la 5ème ave et la 6ème ave, ça c’est tout mon petit univers ! Pour le reste, je produis les prototypes en cire de chez moi, je travaille la dentelle de chez moi, les premières étapes de fabrication se passent chez moi.
Qu’est-ce que tu préfères dans ton environnement de travail?
Ce que je préfère se sont mes outils, mes petites pinces, mes petites scies, mes limes. J’ai un outil qui ressemble à une fraise de dentiste (flex shaft) pour travailler le métal et la cire, j’ai des mini couteaux, scalpels, vrilles pour faire des trous, ça me fascine, les outils et les matières premières, le toucher c’est vraiment ce que je préfère. J’ai aussi beaucoup d’images inspirantes chez moi dans lesquelles j’adore me plonger aussi.
Quel est le plus gros sacrifice que tu aie fait pour démarrer ton business?
Lâcher la sécurité de l’emploi que peut t’apporter un travail salarié. Accepter le risque de se lancer seule.
Quelle est la plus grande peur que tu aie dépassée en lançant ton entreprise?
La peur de ne pas réussir à être financièrement indépendante. Mais c'est une peur qui te pousse à persévérer et à ne pas baisser les bras!
Quelle est ta définition du succès?
L’épanouissement, la reconnaissance dans ce qu’on fait et la rentabilité de mon activité.
La plus grande leçon que tu aie apprise en ayant ton propre business?
La patience, ne pas baisser les bras, la détermination, la persévérance. J’ai l’impression que c’est de plus en plus vrai dans ce monde où nous sommes en permanence sollicités à travers la communication, les emails et les réseaux sociaux. Il faut y aller encore plus fort et ne faut pas hésiter à pousser les portes. Et puis comme on dit ici:
Don’t take no for an answer
Dans les moments de doute ou d’adversité comment est-ce que tu gardes le cap?
Je pleure un bon coup et je me re-concentre sur mes créations, c'est ce que je préfère et ça remet tout en place. Un peu de yoga aussi, ça me permet de me ré-équilibrer et de ne pas perdre la cap.
A quel moment as-tu su ce que tu voulais faire? Qu’est ce qui t’as fait réaliser que se serait ça?
Depuis que je suis toute petite je sais que je veux travailler de mes mains. J'ai toujours aimé être dans ma chambre à fabriquer des trucs, je faisais des sacs à dos en papier, je me suis fabriqué mon premier soutien gorge de bric et de broc, je fabriquais n’importe quoi, je créais tout le temps.
Même à l'école j’étais déjà frustrée d’être assise et d’écrire, j’étais toujours en train de dessiner et dès que je rentrais chez moi je créais. Ça a toujours été l’activité qui me passionnait le plus. J’aime apprendre en faisant, en manipulant.
Malgré cela au moment de choisir les études que je voulais suivre, je me suis laissée convaincre de faire une école de commerce. Une fois diplômée je suis rentrée dans des bureaux comme tout le monde mais de boulot en boulot ça n’allait jamais et je me rendais compte que de toute façon peu importe le job il fallait que je travaille de mes mains, peu importe le produit aussi d’ailleurs.
Les bijoux sont arrivés un peu par hasard, j’en faisais pour moi, j’ai toujours aimé le beau et la mode, ça s’inscrivait dedans. Et puis un jour, un ami m’a emmené chez un fournisseur de bijoux à Manhattan en pensant que ça allait me plaire. Je n’aurai probablement jamais poussé la porte sans lui, et dés que je suis rentrée j'ai été fascinée. J’y suis retournée toute seule pour acheter ce dont j’avais besoin, c’est comme ça que j’ai commencé.
Quelle citation t’inspire et te motive à rester toi et à faire ce que tu aimes ?
"La seule chose qu’on est sûr de ne pas réussir est celle qu’on ne tente pas" de Paul-Emile Victor.
Quels sont les traits de ton caractère dont tu es la plus fière?
La minutie et le sens du détail qui sont des qualités importantes dans la création de bijoux. La détermination aussi, je suis quelqu’un d’assez forte pour porter des projets, être maman de deux enfants, être freelance et tout faire à la fois.
Selon toi de quoi le monde a-t-il le plus besoin aujourd’hui?
D’amour en général, d’entraide, d’humanité et d’éducation pour qu’on apprenne à mieux vivre ensemble.
Quelle est ta façon à toi d'y contribuer?
Je travaille avec des artisans localement, avec des métaux recyclés et des pierres éthiques. C’est important pour moi. J’essaie de faire les choses bien. Quand j’ai commencé à créer des bijoux, j'ai pris conscience des conséquences de cette industrie sur la pollution, la présence de mercure dans les mines d’or, les maladies, le travail des enfants... C’est horrible tout ce qui se passe! Alors je me suis dit qu’à ma petite échelle je pouvais faire les choses bien, je me suis renseignée et je me suis rendue compte que je pouvais passer par un fondeur qui utilise des métaux recyclé plutôt que de travailler des métaux sortis de la mine, que je pouvais acheter des pierres minées aux Etats-Unis et pour lesquelles aucun enfant n'a été exploité. J’essaie de passer par la filière Fairtrade - commerce équitable - où les chaînes sont contrôlées et transparentes! Ça demande un gros travaille de sourcing mais ça vaut le coup.
Pour moi ça devrait faire partie du haut de gamme aussi! Je ne comprends pas que l'industrie du luxe n'est pas l'exigence de faire bien et d’être totalement transparente à ce sujet, ça me parait dingue. Le plus grand luxe n’est pas seulement le prix, la qualité ou la pureté de ton diamant mais d’où il vient et la manière dont il a été extrait. Pareil pour les sacs et les vêtements.
Apprendre à consommer plus en conscience devrait faire partie de l'éducation et à ma petite échelle je commence comme ça, je trouve que c’est important.
Qu’est ce que tu fais quand tu as besoin d’inspiration ou pour te sortir d’une impasse créative?
Je ne suis jamais dans l’impasse créative, c’est même plutôt l’inverse, j’ai des idées à foison… je me lève la nuit pour écrire mes idées sur des post-its, j’ai des listes dans tous les sens, des listes créatives, de choses que je voudraient faire, de ce que je voudrais apprendre plus tard, des listes de métiers si jamais j’en changeais, j’ai des listes de mots… ça s’arrête jamais. Beaucoup de listes et d’images… Il faudrait plutôt que j’apprenne à me cadrer et à rester concentrer sur une chose à la fois (rires).
Qu’est ce que tu aimes faire le plus après une longue journée de travail?
Ce que j’aime le plus pour me détendre une fois que mes enfants sont couchés et que j’ai arrêté de travailler c’est de regarder un film. Je regarde beaucoup de documentaires, j'aime beaucoup les biopics mais je peux aussi passer de quelque chose d’intellectuel à un truc très bête, pour reposer mon cerveau!
Une femme que tu admires?
Charlotte Gainsbourg pour sa beauté particulière, pour le fait qu’elle est su prendre sa place alors qu’au départ elle était surtout une fille de. J’admire le fait qu’elle soit aussi talentueuse que timide et qu’elle ait réussi à allier tout ça en étant une personne publique.
La première chose que tu fais le matin pour commencer ta journée du bon pied?
Je n’aime pas être pressée, j’ai horreur d’être en retard donc en général je me lève avant tout le monde, j’aime commencer ma journée seule dans le silence. Je prépare le petit-déjeuner et les lunch boxes avant que tout le monde se lève.
Une fois que j’ai déposé les enfants, ce qui me met vraiment de bon pied, c’est mon café, mon petit moment “in between”, entre les enfants et ma journée de travail, c’est essentiel !
Une peur ou un challenge professionnel qui te tiendrais éveillée la nuit?
Je suis assez susceptible et sensible à la critique, une très mauvaise critique ou un refus peuvent me faire tergiverser longtemps.
Si tu avais accès à une somme illimitée d’argent, mènerais-tu ton business de manière différente?
Je ferai plus de métaux précieux, j’apprendrais de nouvelles techniques parce que c’est ce qui me passionne, je prendrais un showroom, je ferai des salons, des trade shows, plus de voyages d’inspiration, je me formerai, et j’aurai une ou deux personnes qui m’aideraient à gérer tout ça.
Quel est ta devise au niveau personnel et/ou professionnel?
Porter attention aux petits plaisirs du quotidien qui améliorent chacune de tes journées.
What’s next? Ta vision à plus long terme?
Je voudrais continuer à faire ce que je fais de la manière dont je le fais c’est à dire en développant localement de manière durable avec des métaux recyclés, faire des petites séries, introduire plus de pierres, toujours en me focalisant sur la qualité, afin de me rapprocher un peu plus du haut de gamme.
J’ai une fascination pour le bien fait et l’artisanat d’art donc plutôt dans cette direction mais pourquoi pas aussi à plus long terme créer pour d’autres marques ou créer autre chose que des bijoux, je reste ouverte.
Camille D.
Hand made jewelry in New York, with love, with pride, true craftwomanship. Where science meets poetry.
https://camilled.com/
Follow Camille D.!
Instagram: @camilledjewelry